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Un manque à gagner en éducation financière chez les jeunes

CFEE04.25.23

Que ce soit pour une première voiture, pour de nouveaux vêtements ou simplement pour économiser, les premiers chèques de paie des jeunes travailleurs ont souvent un goût de liberté. Mais avec une éducation financière tardive dans les écoles, cette indépendance arrive-t-elle trop tôt?

Alex Cantin, 15 ans, travaille déjà à son compte en réparant des véhicules. (Patrice Laroche/Le Soleil)

La réponse doit être nuancée, selon Brian Smith, vice-président de la Fondation canadienne d’éducation économique. Ce ne sont pas les chèques qui arrivent trop tôt, mais plutôt l’éducation qui arrive trop tard.

Plusieurs adolescents cumulent déjà quelques expériences sur leur curriculum vitæ avant même de souffler 16 bougies.

Aucune donnée n’existe sur le nombre exact de travailleurs mineurs au Québec. Mais selon les données les plus récentes de Statistique Canada, 53,1 % des Québécois de 15 à 19 ans travaillent.

Et le Mouvement Desjardins compte environ 300 000 membres âgés de moins de 18 ans. De ce lot, environ 40 % ont entre 15 et 17 ans.

Travailler pour dépenser

Alex Cantin fait partie de ce bassin. À 15 ans, il a travaillé dans un champ d’autocueillette, une fromagerie, une chaîne de restauration rapide, un dépanneur, pour ensuite faire le virage à son compte.

Les soirs et les fins de semaine, afin de ne pas nuire à ses études, il répare des véhicules et d’autres engins roulants pour sa «petite clientèle».

Scénario similaire pour Rose St-Pierre. Lorsqu’elle avait 12 ans, le camp des cadets a signé son premier chèque de paie. Ensuite se sont enchaînés le Tim Hortons, l’Hôtel PUR et le A&W.

Depuis ses 12 ans, Rose St-Pierre a enchaîné différents emplois. (Fournie par Rose St-Pierre)

Ils choisissent tous de faire leurs premiers pas sur le marché du travail pour différentes raisons. L’un pour s’acheter une automobile, l’autre pour passer le temps. Parfois simplement pour se faire des amis.

Mais le résultat reste le même. L’argent arrive, et se dépense.

Rose St-Pierre l’assume : «Juste le fait que j’ai travaillé pour, ça me tente de le dépenser.»

Du côté du jeune mécanicien, si son compte d’épargne se remplit entre autres pour une première automobile et un motocross, ses sous sont principalement réservés à ses dépenses «normales». «Comme aller au restaurant avec mes amis une fois de temps en temps et payer mes propres choses.»

Des portraits qui font écho à toute une génération. Et si rien n’est fait, le manque d’éducation fera boule de neige chez les suivantes, craint M. Smith.

«Beaucoup ne connaissent pas la valeur de l’argent et n’ont pas vraiment été sensibilisés.»
—  Brian Smith, vice-président de la Fondation canadienne d’éducation économique

«L’argent, c’est juste un moyen d’acheter des choses. Et avec les médias sociaux et Internet, nous vivons dans un monde de consommation.»

Les jeunes travailleurs sont plutôt poussés vers la gratification instantanée, observe-t-il. «Acheter quelque chose, ça donne du bonheur pendant deux ou trois jours, mais après, c’est fini. Et c’est une autre chose ensuite.»

«Avec l’argent viennent des responsabilités»

Mais est-ce de leur faute si l’argent leur brûle les doigts?

Abolie en 2009, l’éducation financière a fait un retour sur les bancs d’école près d’une décennie plus tard au Québec.

En 50 heures par année, les élèves de cinquième secondaire — seulement — peuvent apprendre des concepts tels que «la consommation, l’endettement, l’épargne et le pouvoir d’achat», décrit le programme de formation.

Un pas dans la bonne direction, souligne M. Smith, mais qui doit être étendu à tous les niveaux. «Il faut qu’on commence ça le plus tôt possible. Dans les écoles primaires, mais aussi avec les élèves de première au quatrième secondaire. Pas seulement quand ils ont 16 ans. Il faut commencer plus tôt.»

En quatrième secondaire, Alex Cantin touche déjà de bons montants, même si les entrées d’argent «ne sont pas stables».

Alex Cantin (Patrice Laroche/Le Soleil)

«Je peux avoir 50 $ par semaine comme 1200 $, comme je peux ne rien faire pendant un mois.»

Sa mère tient ses économies à l’oeil – dont 4000 $ obtenus à la suite de la vente d’une motoneige — et l’aide «à ne pas flamber» son argent, raconte-t-il.

Selon Brian Smith, ce n’est pas «seulement la responsabilité de l’État» de faire l’éducation financière. Les parents et les organismes communautaires doivent assumer un rôle plus intensif pour s’assurer que les plus jeunes générations ont accès à des ressources. «Car dans le système scolaire, certains professeurs peuvent ne pas avoir assez d’expérience pour bien enseigner dans le domaine», nuance-t-il.

Les parents de demain

Les habitudes de consommation changent. Le prochain colis est au bout des doigts. Il n’est plus nécessaire de vérifier si on a assez d’argent dans son compte ou de sortir son portefeuille pour passer à la caisse, qu’elle soit virtuelle ou non.

Brian Smith, vice-président de la Fondation canadienne d’éducation économique (Fournie par Brian Smith)

«Il faut qu’on trouve des moyens pour montrer aux jeunes ce qu’est vraiment la valeur de l’argent. Parce que ce n’est pas comme les années précédentes, dit Brian Smith. Aujourd’hui, c’est un monde virtuel où tout s’achète en ligne. Les personnes ont accès tout de suite à leur argent, et pour plusieurs, cela signifie dépenser très vite.»

Et ce constat touche également les étudiants du cégep et de l’université. Ces derniers ont hérité, pour la plupart, d’une absence d’éducation financière au secondaire.

Selon une étude de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) réalisée en 2021, leur endettement provenant de sources privées s’est accru depuis l’an 2000.

«C’est pourquoi l’éducation financière est très importante, poursuit M. Smith. C’est le moyen de prévention contre le gaspillage d’argent. Mais il faut que ce soit vraiment adapté à ce qui se passe dans le monde réel. Et la bureaucratie de l’éducation — le système — prend parfois trop de temps.»

En 2018, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la firme Léger ont publié l’Indice de la littératie financière au Québec. Parmi les groupes ayant un indice inférieur à la moyenne se trouvaient les 18 à 44 ans, les personnes ayant un revenu annuel de moins de 40 000 $, les locataires et les non-francophones.

Parler de salaire entre collègues. De dettes avec son oncle. D’économie avec ses amis. Au Québec, l’argent est un tabou.

«Ce n’est pas une discussion que nous avons autour de la table, déplore M. Smith. Mais il faut trouver des moyens pour que le sujet devienne confortable avec le parent, le prof, les grands-parents.»

En particulier avec les figures parentales. «Car si un parent n’est pas éduqué dans le domaine financier, s’il ne donne pas un bon exemple, son enfant va adopter le même comportement», craint-il.

«La situation pourrait être encore pire dans le futur, puisque les jeunes d’aujourd’hui sont les parents de demain. Et s’ils grandissent sans de solides bases, les prochaines générations répéteront l’exemple.»

Le revers de la loi

En ayant retiré le droit aux moins de 14 ans de travailler, l’éducation financière devient d’autant plus essentielle, tranche Brian Smith. «Je pense que ça pourrait avoir un impact sur leur éducation financière.»

S’il ne dément pas l’importance de trouver un équilibre entre le travail et l’école, il ne croit pas qu’instaurer une limite sur l’âge était nécessaire.

«Selon moi, il n’y a pas de lien négatif avec les notes pour un jeune qui travaille à 14 ans à temps partiel. C’est mon opinion. Parce que s’il travaille, il peut être bien organisé et avoir une bonne gestion de son temps. Alors, il y a peut-être d’autres choses à prendre en compte que de l’empêcher de travailler. Je pense que c’est triste.»

Par Marie-Soleil Brault
Le Soleil, 12 avril 2023

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